La préservation des ressources halieutiques traditionnelles constitue un défi majeur à l’intersection du droit environnemental, du patrimoine culturel et des droits des communautés locales. Face à l’industrialisation croissante de la pêche et aux menaces pesant sur les écosystèmes marins, les systèmes juridiques nationaux et internationaux tentent d’élaborer des cadres protecteurs adaptés. Cette protection ne se limite pas à la conservation des espèces, mais englobe les savoirs traditionnels, les pratiques ancestrales et les modes de gouvernance communautaire. L’équilibre entre développement économique, préservation écologique et respect des droits coutumiers représente le cœur de cette problématique juridique complexe qui nécessite des approches innovantes et pluridisciplinaires.
Fondements juridiques de la protection des ressources halieutiques traditionnelles
La protection des ressources halieutiques traditionnelles s’appuie sur un corpus juridique diversifié qui s’est construit progressivement au fil des décennies. Au niveau international, la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (1982) constitue la pierre angulaire de cette architecture normative. Elle reconnaît explicitement dans son article 61 l’obligation pour les États de prendre des mesures de conservation appropriées pour éviter que le maintien des ressources biologiques ne soit compromis par une surexploitation.
Cette convention a été renforcée par le Code de conduite pour une pêche responsable de la FAO (1995), instrument non contraignant mais néanmoins influent, qui préconise l’intégration des connaissances traditionnelles dans les politiques de gestion des pêches. L’article 6.4 stipule notamment que « les décisions en matière de conservation et d’aménagement […] devraient tenir compte des connaissances traditionnelles ».
Sur le plan des droits culturels, la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO (2003) offre un cadre complémentaire en reconnaissant les pratiques de pêche traditionnelles comme éléments du patrimoine culturel immatériel. Cette dimension culturelle est souvent négligée dans les approches purement environnementales.
Les droits des peuples autochtones constituent un autre pilier fondamental avec la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (2007) qui affirme dans son article 31 le droit de ces peuples à « préserver, contrôler, protéger et développer leur patrimoine culturel, leur savoir traditionnel et leurs expressions culturelles traditionnelles ».
Évolution jurisprudentielle significative
La jurisprudence internationale a considérablement contribué à renforcer ces protections. L’affaire Centre for Minority Rights Development (Kenya) c. Kenya devant la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a reconnu en 2010 les droits du peuple Endorois sur leurs ressources naturelles, créant un précédent applicable aux communautés de pêcheurs traditionnels.
De même, l’arrêt Saramaka c. Suriname de la Cour interaméricaine des droits de l’homme (2007) a établi que les États doivent garantir la participation effective des communautés autochtones aux décisions concernant leurs ressources naturelles, incluant les ressources halieutiques.
Ces fondements juridiques, bien qu’existants, présentent toutefois des lacunes significatives en termes d’application effective et d’harmonisation avec les législations nationales, créant souvent un décalage entre la protection théorique et la réalité vécue par les communautés de pêcheurs traditionnels.
- Instruments juridiques internationaux contraignants (CNUDM, CDB)
- Instruments de soft law (Code de conduite FAO, Déclaration des droits des peuples autochtones)
- Jurisprudence des cours régionales des droits humains
- Législations nationales spécifiques
Mécanismes de reconnaissance des droits d’usage traditionnels
La reconnaissance juridique des droits d’usage traditionnels sur les ressources halieutiques constitue un enjeu central pour les communautés côtières. Cette reconnaissance s’articule autour de plusieurs modèles juridiques qui tentent de formaliser des pratiques souvent ancestrales et transmises oralement.
Les droits territoriaux de pêche représentent l’une des formes les plus abouties de cette reconnaissance. Au Japon, le système des Satoumi octroie aux coopératives de pêcheurs (Fishery Cooperative Associations) des droits exclusifs sur certaines zones côtières. Ce modèle, qui remonte à plusieurs siècles, permet une gestion locale des ressources basée sur des connaissances écologiques traditionnelles et des règles coutumières. La législation japonaise moderne a formalisé ce système dans la Loi sur la pêche de 1949, créant ainsi une hybridation réussie entre droit coutumier et droit positif.
Dans le Pacifique Sud, plusieurs États ont développé des cadres juridiques reconnaissant les systèmes de tenure marine coutumière. Les îles Fidji ont inscrit dans leur législation le système des qoliqoli (zones de pêche traditionnelles), accordant aux communautés autochtones des droits d’usage sur les zones côtières adjacentes à leurs terres. Ce système est protégé par le Fisheries Act fidjien qui reconnaît explicitement ces droits coutumiers tout en les intégrant dans un cadre de gestion moderne.
Le concept de droits d’usage territoriaux pour la pêche (TURF – Territorial Use Rights in Fisheries) a été formalisé par des chercheurs et progressivement intégré dans les politiques publiques. Au Chili, la Loi sur la pêche et l’aquaculture a institutionnalisé ce concept en créant des zones de gestion et d’exploitation des ressources benthiques (AMERB) attribuées à des organisations de pêcheurs artisanaux. Ce modèle hybride combine reconnaissance des pratiques traditionnelles et cadre scientifique de gestion des ressources.
Défis de la formalisation juridique
La formalisation des droits traditionnels soulève néanmoins des défis considérables. La cartographie et la délimitation des zones d’usage traditionnel peuvent s’avérer problématiques lorsque les frontières sont fluides ou contestées. La définition même des communautés bénéficiaires pose question, particulièrement dans les contextes de migration ou de peuplement mixte.
Le risque de fossilisation des pratiques traditionnelles constitue un autre écueil majeur. En fixant dans le marbre juridique des pratiques qui étaient adaptatives par nature, les systèmes de reconnaissance peuvent paradoxalement entraver l’évolution naturelle des savoirs traditionnels face aux changements environnementaux et sociaux.
L’expérience de Madagascar avec le système des dina (conventions locales) illustre ces tensions. Initialement conçue comme une reconnaissance des systèmes traditionnels de gouvernance, la formalisation juridique des dina par la Loi GELOSE (Gestion Locale Sécurisée) a parfois abouti à une standardisation excessive qui ne reflète plus la diversité des pratiques locales.
- Reconnaissance des zones de pêche traditionnelles (qoliqoli, himas, satoumi)
- Systèmes de co-gestion adaptative
- Intégration des autorités coutumières dans les processus décisionnels
- Protection des connaissances écologiques traditionnelles
Conflits entre pêche industrielle et droits traditionnels
L’expansion rapide de la pêche industrielle génère des tensions croissantes avec les systèmes de pêche traditionnels, créant un terrain fertile pour des conflits juridiques complexes. Ces antagonismes se manifestent à travers plusieurs dimensions qui mettent à l’épreuve les cadres juridiques existants.
La compétition spatiale constitue le premier niveau de conflit. Les chalutiers industriels pénètrent fréquemment dans les zones traditionnellement exploitées par les communautés locales, provoquant des confrontations directes en mer. Le cas des pêcheurs sénégalais face aux flottes étrangères opérant sous accords de pêche illustre cette problématique. Malgré la délimitation d’une zone réservée à la pêche artisanale dans le Code de la pêche maritime sénégalais, les incursions demeurent fréquentes, révélant les lacunes dans l’application effective de la législation.
La surexploitation des stocks représente une autre source majeure de tension. Les techniques industrielles intensives réduisent drastiquement les populations de poissons dont dépendent les communautés traditionnelles. En Indonésie, la pêche au chalut pélagique a décimé les stocks de petits pélagiques dans la mer de Java, affectant gravement les moyens de subsistance des pêcheurs traditionnels. Face à cette situation, le gouvernement indonésien a instauré en 2017 une interdiction partielle des chaluts et sennes coulissantes via le Règlement ministériel 71/2016, illustrant une tentative de résolution juridique de ce conflit d’usage.
Mécanismes juridiques de résolution des conflits
Plusieurs approches juridiques ont été développées pour gérer ces conflits. La zonation spatiale constitue l’une des stratégies les plus répandues. Au Brésil, la création de Réserves Extractivistes Marines (RESEX) par la Loi n° 9.985/2000 accorde des droits exclusifs aux communautés traditionnelles sur certaines zones côtières, les protégeant légalement de l’intrusion des flottes industrielles.
Les quotas différenciés représentent une autre approche. La Nouvelle-Zélande a développé un système original avec le Fisheries Settlement Act de 1992 qui réserve une part spécifique des quotas de pêche aux Maoris, reconnaissant ainsi leurs droits traditionnels tout en les intégrant dans un système moderne de gestion des pêcheries.
Les accords de pêche entre États constituent un terrain particulièrement sensible pour les droits traditionnels. L’Union européenne a progressivement intégré des clauses de sauvegarde dans ses Accords de Partenariat de Pêche Durable (APPD), notamment avec les pays d’Afrique de l’Ouest, pour limiter l’impact sur les pêcheries artisanales. Toutefois, l’efficacité de ces dispositions reste contestée par de nombreuses organisations de pêcheurs traditionnels et ONG qui pointent le déséquilibre persistant dans les relations de pouvoir.
Le contentieux stratégique émerge comme un levier croissant pour les communautés traditionnelles. L’affaire T-12/93 devant la Cour de justice de l’Union européenne a permis de questionner la validité d’accords de pêche ne tenant pas compte des droits des populations sahraouies. Plus récemment, des communautés de pêcheurs sud-africains ont obtenu l’annulation partielle de quotas industriels via l’affaire Kenneth George and Others v. Minister of Environmental Affairs & Tourism, établissant que la politique de pêche devait respecter les droits socio-économiques des communautés traditionnelles.
- Zonation exclusive pour la pêche artisanale
- Systèmes de quotas réservés aux communautés traditionnelles
- Clauses de sauvegarde dans les accords internationaux de pêche
- Mécanismes de compensation pour les communautés impactées
Protection des savoirs écologiques traditionnels
Les savoirs écologiques traditionnels liés à la pêche constituent un patrimoine immatériel d’une valeur inestimable, tant pour les communautés qui les détiennent que pour la gestion durable des écosystèmes marins. Ces connaissances, développées sur des générations d’observation et d’interaction avec le milieu marin, englobent la compréhension des cycles de reproduction des espèces, les techniques de pêche sélectives, et les systèmes de conservation adaptés aux conditions locales.
La protection juridique de ces savoirs se heurte à plusieurs obstacles conceptuels. D’une part, les régimes classiques de propriété intellectuelle s’avèrent souvent inadaptés à la nature collective et évolutive de ces connaissances. D’autre part, la distinction entre savoirs susceptibles d’appropriation et patrimoine commun reste difficile à établir.
Le Protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages (2010), découlant de la Convention sur la diversité biologique, offre un cadre pour protéger les connaissances traditionnelles associées aux ressources génétiques marines. L’article 7 du Protocole exige le consentement préalable et éclairé des communautés autochtones et locales pour l’accès à leurs savoirs traditionnels, posant ainsi les bases d’une protection contre la biopiraterie.
Registres et bases de données des savoirs traditionnels
La création de registres de savoirs traditionnels représente une approche novatrice adoptée par plusieurs pays. L’Inde a développé la Traditional Knowledge Digital Library (TKDL) qui, bien que principalement axée sur les connaissances médicinales, fournit un modèle adaptable aux savoirs liés à la pêche. Ces registres permettent de documenter les connaissances, établissant ainsi une preuve d’antériorité qui peut être opposée à des demandes de brevets abusives.
Au Pérou, la Loi n° 27811 a instauré un régime de protection des connaissances collectives des peuples autochtones relatives aux ressources biologiques. Ce cadre juridique reconnaît la nature collective de ces savoirs et prévoit des mécanismes de consentement préalable et de partage des avantages, applicables aux connaissances halieutiques traditionnelles.
L’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) travaille depuis 2000 sur un instrument juridique international pour la protection des savoirs traditionnels, y compris ceux liés à la pêche. Le Comité intergouvernemental de la propriété intellectuelle relative aux ressources génétiques, aux savoirs traditionnels et au folklore a élaboré plusieurs projets de textes qui pourraient aboutir à un traité contraignant.
Les approches sui generis semblent particulièrement prometteuses pour la protection des savoirs liés à la pêche traditionnelle. Les Philippines ont adopté en 1997 la Indigenous Peoples’ Rights Act qui reconnaît explicitement les droits des communautés autochtones sur leurs savoirs traditionnels et prévoit des mécanismes de protection adaptés aux spécificités culturelles locales.
La valorisation économique des savoirs traditionnels pose néanmoins des questions éthiques complexes. Le développement de produits commerciaux basés sur ces connaissances peut générer des revenus pour les communautés, mais risque également de dénaturer ces savoirs et de perturber les modes de transmission traditionnels.
- Systèmes sui generis de protection des savoirs collectifs
- Registres communautaires de connaissances traditionnelles
- Mécanismes de consentement préalable libre et éclairé
- Dispositifs de partage des avantages
Vers une gouvernance adaptative et inclusive des ressources halieutiques
L’évolution des cadres juridiques de protection des ressources halieutiques traditionnelles s’oriente progressivement vers des modèles de gouvernance adaptative qui reconnaissent la complexité et le dynamisme des socio-écosystèmes marins. Cette approche novatrice dépasse la simple conservation pour englober une vision holistique intégrant dimensions écologiques, sociales et culturelles.
La cogestion adaptative émerge comme paradigme dominant dans cette évolution. Ce modèle repose sur un partage des responsabilités entre autorités étatiques et communautés locales, permettant d’intégrer les savoirs traditionnels dans un cadre de gestion formalisé. Les Samoa ont été pionnières avec leur programme de Plans de gestion des pêches villageoises (Village Fisheries Management Plans) institué par le Fisheries Act de 1988. Ce dispositif juridique reconnaît l’autorité des conseils villageois (fono) pour établir et faire respecter des règles de pêche locales qui sont ensuite validées et soutenues par l’administration nationale des pêches.
Le concept de droits humains à la pêche gagne en reconnaissance dans les instances internationales. Les Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers de la FAO (2012) et les Directives volontaires visant à assurer la durabilité de la pêche artisanale (2014) ont consacré cette approche fondée sur les droits. Ces instruments, bien que non contraignants, ont influencé les réformes législatives dans plusieurs pays comme le Costa Rica qui a adopté en 2019 une loi sur la pêche artisanale reconnaissant explicitement le droit des communautés côtières à maintenir leurs pratiques traditionnelles.
Innovations juridiques et institutionnelles
Les aires marines protégées communautaires représentent une innovation juridique majeure, fusionnant objectifs de conservation et reconnaissance des droits traditionnels. Au Mexique, les refuges de pêche (Zonas de Refugio Pesquero) établis par la Loi générale sur la pêche et l’aquaculture durables permettent aux communautés de proposer la création de zones de protection temporaires ou permanentes basées sur leurs connaissances des habitats critiques et cycles biologiques.
Les tribunaux environnementaux spécialisés constituent une autre innovation institutionnelle prometteuse. La Cour environnementale de la Nouvelle-Zélande (Environment Court) a développé une jurisprudence substantielle reconnaissant les droits des Maoris sur les ressources marines, notamment dans l’affaire Ngati Kahungunu Iwi Inc v. The Hawkes Bay Regional Council qui a établi l’obligation de considérer les valeurs culturelles traditionnelles dans la gestion des pêcheries.
L’émergence des contrats de conservation marine représente une approche hybride innovante. Ces instruments juridiques permettent à des communautés traditionnelles de s’engager formellement à conserver certaines zones ou espèces en échange d’avantages économiques ou de reconnaissance de droits. Les accords de conservation marine mis en place aux Îles Salomon avec le soutien de l’ONG The Nature Conservancy illustrent cette tendance, combinant droit contractuel moderne et gouvernance coutumière.
La diplomatie juridique transnationale des communautés de pêcheurs traditionnels constitue un phénomène émergent significatif. Le Forum mondial des populations de pêcheurs (WFFP) et l’Alliance mondiale des peuples autochtones mobiles (WAMIP) ont acquis un statut consultatif auprès de diverses instances internationales, leur permettant d’influencer l’élaboration de normes juridiques. Cette participation directe des communautés à la production normative internationale représente une évolution majeure dans la gouvernance globale des océans.
L’intégration des nouvelles technologies dans les systèmes de gouvernance traditionnelle pose des questions juridiques inédites. L’utilisation de systèmes de surveillance par satellite, d’applications mobiles de collecte de données ou de plateformes blockchain pour la traçabilité peut renforcer les capacités de gestion communautaire, mais nécessite des cadres juridiques adaptés pour garantir la maîtrise de ces outils par les communautés elles-mêmes.
- Systèmes de cogestion adaptative formalisés juridiquement
- Reconnaissance constitutionnelle des droits des pêcheurs traditionnels
- Mécanismes de résolution des conflits culturellement appropriés
- Plateformes de gouvernance multi-niveaux intégrant autorités coutumières
Perspectives d’avenir pour la protection juridique des ressources halieutiques traditionnelles
L’avenir de la protection juridique des ressources halieutiques traditionnelles se dessine à l’intersection de plusieurs tendances émergentes qui transforment profondément les paradigmes établis. Ces évolutions ouvrent de nouvelles voies pour renforcer et repenser les cadres normatifs existants.
La reconnaissance juridique des droits de la nature représente une innovation conceptuelle majeure avec des implications significatives pour la protection des ressources halieutiques traditionnelles. La Nouvelle-Zélande a ouvert une voie pionnière en accordant en 2017 la personnalité juridique au fleuve Whanganui (Te Awa Tupua) via le Te Awa Tupua Act, reconnaissant ainsi sa valeur intrinsèque conformément à la vision du monde maorie. Cette approche pourrait s’étendre aux écosystèmes marins, offrant un cadre juridique novateur pour la protection des zones de pêche traditionnelles.
L’Équateur et la Bolivie ont inscrit dans leurs constitutions respectives les droits de la Pachamama (Terre-Mère), créant un précédent pour la reconnaissance constitutionnelle des droits des écosystèmes. Ces innovations juridiques ouvrent la voie à des recours judiciaires au nom des écosystèmes marins eux-mêmes, potentiellement en association avec les communautés de pêcheurs traditionnels qui en dépendent.
Le dialogue interculturel juridique s’affirme comme une nécessité pour dépasser les oppositions simplistes entre droit positif et systèmes normatifs traditionnels. La Colombie a développé une jurisprudence constitutionnelle sophistiquée sur l’interculturalité juridique, notamment dans l’arrêt T-955/2003 de la Cour constitutionnelle qui reconnaît les droits collectifs des communautés afro-colombiennes sur leurs territoires marins traditionnels.
Défis climatiques et adaptation juridique
Le changement climatique pose des défis juridiques inédits pour la protection des ressources halieutiques traditionnelles. La migration des stocks de poissons due au réchauffement des océans remet en question les délimitations spatiales fixes des zones de pêche traditionnelles. Les cadres juridiques devront évoluer vers des modèles plus dynamiques, capables d’accommoder ces changements tout en préservant les droits des communautés.
L’acidification des océans et la montée du niveau marin menacent directement certaines communautés côtières et leurs pratiques de pêche traditionnelles. Le développement d’un statut juridique pour les réfugiés climatiques issus de ces communautés constitue un enjeu émergent, comme l’illustre le cas des îles Kiribati dont les habitants pourraient perdre non seulement leurs territoires mais aussi leurs zones de pêche ancestrales.
L’intégration des approches fondées sur les écosystèmes dans les cadres juridiques de protection des pêches traditionnelles représente une tendance prometteuse. Le Belize a adopté en 2020 une législation pionnière avec le Fisheries Resources Act qui intègre explicitement cette approche écosystémique tout en reconnaissant les droits des pêcheurs traditionnels, créant ainsi un modèle potentiellement transposable à d’autres juridictions.
La diplomatie océanique évolue également avec l’émergence de nouveaux forums et instruments. Les négociations sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine dans les zones au-delà de la juridiction nationale (BBNJ) pourraient aboutir à un traité qui, pour la première fois, reconnaîtrait explicitement les droits et intérêts des communautés côtières traditionnelles dans la gouvernance de la haute mer.
L’intégration des Objectifs de Développement Durable (ODD) dans les cadres juridiques nationaux offre une opportunité de renforcement de la protection des pêcheries traditionnelles. L’ODD 14 (Vie aquatique) comprend des cibles spécifiques concernant l’accès des petits pêcheurs aux ressources marines et aux marchés (cible 14.b), fournissant un levier pour des réformes législatives inclusives.
- Reconnaissance juridique des droits des écosystèmes marins
- Cadres juridiques adaptatifs face au changement climatique
- Intégration des approches écosystémiques dans la législation
- Mécanismes transfrontaliers de protection des savoirs traditionnels
La protection juridique des ressources halieutiques traditionnelles se trouve à un carrefour décisif. L’avenir de cette protection dépendra largement de notre capacité collective à développer des cadres juridiques qui respectent la diversité culturelle, s’adaptent aux changements environnementaux et reconnaissent pleinement la contribution des communautés traditionnelles à la gestion durable des océans. Le défi consiste à transcender les approches sectorielles pour adopter une vision véritablement holistique où la protection juridique des ressources halieutiques traditionnelles devient partie intégrante d’une gouvernance océanique équitable et durable.