Face à l’urgence climatique, la question de la responsabilité des acteurs financiers dans la dégradation environnementale prend une dimension juridique inédite. Les banques, assurances et investisseurs qui financent des projets causant des dommages graves aux écosystèmes se trouvent progressivement dans le collimateur du droit. Cette évolution marque un tournant dans la conception même de la responsabilité juridique, transcendant les frontières traditionnelles entre droit des affaires, droit de l’environnement et droits humains. Notre analyse se concentre sur les mécanismes juridiques émergents permettant d’engager la responsabilité des financeurs d’activités préjudiciables aux écosystèmes, dans un contexte où le concept d’écocide fait son chemin vers une reconnaissance internationale.
L’émergence du concept juridique d’écocide et ses implications pour le secteur financier
Le terme écocide désigne les atteintes graves, étendues et durables portées à l’environnement. Bien que ce concept ne soit pas encore pleinement reconnu en droit international, son intégration progressive dans différents ordres juridiques nationaux transforme le paysage de la responsabilité environnementale. La Commission européenne travaille actuellement sur une directive visant à intégrer l’écocide dans le droit communautaire, tandis que la France a adopté en 2021 une loi reconnaissant le délit d’écocide pour les atteintes les plus graves à l’environnement.
Pour le secteur financier, cette évolution juridique soulève des questions fondamentales. Historiquement, les institutions financières ont bénéficié d’une forme d’immunité relative concernant les impacts environnementaux des activités qu’elles financent. Le lien de causalité entre le financement et le dommage environnemental était considéré comme trop indirect pour engager leur responsabilité. Cette conception est aujourd’hui remise en question par plusieurs avancées juridiques.
La théorie de la complicité financière gagne du terrain dans plusieurs juridictions. Selon cette approche, une banque ou un fonds d’investissement qui finance sciemment une activité susceptible de causer des dommages environnementaux graves pourrait être considéré comme complice de l’écocide. Cette théorie s’inspire du précédent de la responsabilité pour complicité de crimes contre l’humanité, déjà appliquée à des institutions financières dans d’autres contextes.
Le devoir de vigilance, consacré en France par la loi de 2017, impose aux grandes entreprises, y compris financières, d’identifier et de prévenir les risques d’atteintes graves aux droits humains et à l’environnement résultant de leurs activités. Ce mécanisme juridique ouvre la voie à des actions en responsabilité contre les financeurs qui n’auraient pas correctement évalué l’impact environnemental des projets qu’ils soutiennent.
Les premières affaires judiciaires
Des précédents judiciaires commencent à émerger. En 2021, l’affaire Notre Affaire à Tous c. Total a marqué une étape significative en mettant en cause la responsabilité d’une entreprise et, indirectement, de ses financeurs pour leurs impacts climatiques. De même, la décision du tribunal de La Haye contre Shell en mai 2021 a établi que les entreprises ont une obligation de réduire leurs émissions de CO2, créant un précédent potentiellement applicable aux institutions qui les financent.
- Reconnaissance croissante du concept d’écocide dans les législations nationales
- Développement de la théorie de la complicité financière
- Extension du devoir de vigilance aux activités de financement
- Multiplication des contentieux climatiques impliquant indirectement les financeurs
Cette évolution juridique s’accompagne d’un changement de paradigme dans la perception de la responsabilité des acteurs financiers. Autrefois considérés comme de simples intermédiaires, ils sont désormais perçus comme des décideurs ayant un pouvoir d’influence considérable sur l’orientation des activités économiques vers la durabilité ou la destruction environnementale.
Les fondements juridiques de la responsabilité des financeurs
La construction d’un cadre juridique permettant d’engager la responsabilité des financeurs d’activités écocidaires s’appuie sur plusieurs fondements complémentaires, tant en droit civil qu’en droit pénal, en droit national et en droit international.
En droit civil, la responsabilité délictuelle constitue un premier levier d’action. L’article 1240 du Code civil français établit que « tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». Cette disposition générale pourrait s’appliquer aux financeurs qui, en connaissance des risques environnementaux, accordent des prêts ou investissent dans des projets destructeurs. La difficulté réside dans l’établissement du lien de causalité entre le financement et le dommage environnemental, mais la jurisprudence tend à assouplir cette exigence en matière environnementale.
Le devoir de vigilance représente une avancée majeure. La loi française du 27 mars 2017 impose aux sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre d’établir et de mettre en œuvre un plan de vigilance pour identifier et prévenir les risques d’atteintes graves aux droits humains, à la santé et à l’environnement. Cette obligation s’applique aux grandes institutions financières et pourrait fonder leur responsabilité en cas de financement d’activités écocidaires sans évaluation préalable adéquate des risques.
La responsabilité pénale en développement
Sur le plan pénal, la complicité constitue un fondement prometteur. L’article 121-7 du Code pénal français définit le complice comme celui qui, par aide ou assistance, a facilité la préparation ou la consommation d’une infraction. Un financeur qui accorde sciemment un prêt pour un projet destructeur de l’environnement pourrait être qualifié de complice de l’écocide ou des infractions environnementales commises.
La responsabilité pénale des personnes morales, consacrée à l’article 121-2 du Code pénal, permet d’engager directement la responsabilité des institutions financières pour les infractions commises pour leur compte par leurs organes ou représentants. Cette disposition ouvre la voie à des poursuites contre les banques et fonds d’investissement en tant qu’entités juridiques.
Au niveau international, les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme établissent que les entreprises doivent respecter les droits humains, ce qui inclut la prévention des dommages environnementaux affectant ces droits. Bien que non contraignants, ces principes influencent l’évolution des législations nationales et pourraient servir de base à l’élaboration de normes contraignantes.
- Responsabilité civile fondée sur la faute et le devoir général de prudence
- Obligations spécifiques issues du devoir de vigilance
- Mécanismes de complicité en droit pénal
- Responsabilité pénale directe des institutions financières
- Normes internationales en cours de développement
Ces différents fondements juridiques se complètent et s’articulent pour former un maillage de plus en plus serré autour des activités de financement. L’enjeu actuel est de renforcer leur effectivité et de clarifier leur application aux cas spécifiques de financement d’activités écocidaires.
Analyse comparative des régimes de responsabilité à travers le monde
L’approche de la responsabilité pour financement d’activités écocidaires varie considérablement d’une juridiction à l’autre, reflétant des traditions juridiques et des priorités environnementales différentes. Cette diversité crée un paysage juridique complexe pour les institutions financières opérant à l’échelle mondiale.
En Europe, l’approche se caractérise par un cadre réglementaire de plus en plus contraignant. La France fait figure de pionnière avec sa loi sur le devoir de vigilance et l’intégration du délit d’écocide dans son Code pénal. L’Union européenne suit cette voie avec le règlement sur la taxonomie verte et la directive sur le reporting extra-financier, qui obligent les acteurs financiers à divulguer leurs impacts environnementaux. La proposition de directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité, présentée en février 2022, étend ces obligations à l’ensemble des États membres.
Aux États-Unis, l’approche diffère sensiblement. En l’absence de législation fédérale spécifique sur la responsabilité environnementale des financeurs, le cadre juridique repose principalement sur des mécanismes de soft law et sur l’autorégulation du secteur. Toutefois, certains États comme la Californie développent leurs propres exigences en matière de divulgation des risques climatiques pour les institutions financières. Par ailleurs, la jurisprudence américaine en matière de class actions offre des possibilités d’actions collectives contre les financeurs de projets polluants.
Les approches innovantes dans les pays émergents
Dans les économies émergentes, certaines juridictions développent des approches novatrices. Le Brésil a mis en place un système de responsabilité environnementale stricte qui peut s’étendre aux financeurs. La Haute Cour brésilienne a établi en 2018 que les banques pouvaient être tenues responsables des dommages environnementaux causés par les projets qu’elles financent si elles n’ont pas effectué les vérifications préalables adéquates.
En Inde, la Cour suprême a développé une jurisprudence progressiste en matière environnementale, consacrant le principe du pollueur-payeur et l’étendant potentiellement aux acteurs financiers. Le concept de responsabilité sociale des entreprises, légalement obligatoire pour les grandes sociétés indiennes, inclut désormais des considérations environnementales qui s’appliquent au secteur financier.
La Chine, malgré son image de puissance industrielle peu soucieuse de l’environnement, a récemment renforcé sa réglementation environnementale. Les Directives pour la construction d’un système financier vert, publiées en 2016, imposent aux institutions financières d’évaluer les risques environnementaux des projets qu’elles financent et d’intégrer ces considérations dans leurs décisions d’investissement.
- Approche réglementaire contraignante en Europe
- Prédominance de l’autorégulation aux États-Unis avec des initiatives étatiques
- Jurisprudence progressiste dans certains pays émergents
- Développement de cadres spécifiques au secteur financier en Asie
Cette diversité d’approches crée des défis de conformité pour les institutions financières internationales, mais elle stimule l’innovation juridique. Les juridictions s’inspirent mutuellement, contribuant à l’émergence progressive d’un standard global de responsabilité environnementale pour les financeurs.
Les mécanismes de mise en œuvre de la responsabilité des financeurs
L’effectivité de la responsabilité pour financement d’activités écocidaires dépend crucialement des mécanismes de mise en œuvre disponibles. Ces mécanismes se diversifient et se renforcent, offrant de nouvelles voies d’action aux victimes et aux défenseurs de l’environnement.
Les actions judiciaires constituent le premier levier d’action. Le contentieux climatique, en plein essor, commence à cibler directement les institutions financières. L’affaire Milieudefensie c. ING aux Pays-Bas illustre cette tendance : en 2022, cette ONG a intenté une action contre la banque ING, l’accusant de contribuer au changement climatique par ses financements. De même, en France, les premières actions fondées sur la loi relative au devoir de vigilance visent des banques finançant des projets pétroliers controversés.
L’accès à la justice pour les victimes d’écocides s’améliore progressivement. Le recours collectif, mécanisme juridique permettant à un groupe de plaignants de poursuivre ensemble un défendeur, se développe dans plusieurs juridictions. En France, l’action de groupe en matière environnementale, introduite par la loi Justice du XXIe siècle, offre de nouvelles possibilités, même si son champ d’application reste limité. Au niveau européen, la directive sur les recours collectifs adoptée en 2020 renforce les droits des consommateurs face aux préjudices de masse, y compris environnementaux.
Le rôle des autorités de régulation
Les autorités de régulation financière jouent un rôle croissant dans la supervision des risques environnementaux. L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) en France et la Banque centrale européenne intègrent désormais les risques climatiques dans leurs évaluations prudentielles. En 2020, l’ACPR a réalisé un premier exercice de stress test climatique pour les banques françaises, signalant l’importance croissante de ces enjeux dans la supervision financière.
Les mécanismes de soft law complètent ce dispositif. Les Principes pour l’Investissement Responsable (PRI) des Nations Unies, les Principes de l’Équateur pour le financement de projets, ou encore la Task Force on Climate-related Financial Disclosures (TCFD) établissent des standards que les institutions financières s’engagent volontairement à respecter. Bien que non contraignants juridiquement, ces engagements peuvent servir de base à des actions en responsabilité pour pratiques commerciales trompeuses lorsqu’ils ne sont pas respectés.
L’innovation juridique se manifeste dans la création de tribunaux environnementaux spécialisés. Plus de 1 200 juridictions de ce type existent désormais dans le monde. En Australie, le Land and Environment Court de Nouvelle-Galles du Sud a développé une expertise reconnue en matière de contentieux environnemental. Ces tribunaux spécialisés pourraient jouer un rôle croissant dans les litiges impliquant des financeurs d’activités écocidaires.
- Multiplication des contentieux climatiques visant directement les financeurs
- Développement des mécanismes de recours collectif
- Intégration des risques environnementaux dans la supervision financière
- Utilisation stratégique des engagements volontaires
- Émergence de juridictions spécialisées en droit de l’environnement
Ces mécanismes, encore imparfaits, évoluent rapidement sous la pression des enjeux environnementaux et de la mobilisation de la société civile. Leur renforcement constitue un enjeu majeur pour donner une effectivité réelle à la responsabilité des financeurs d’activités écocidaires.
Vers une transformation profonde de la finance face au risque juridique
La montée en puissance de la responsabilité juridique pour financement d’activités écocidaires transforme profondément les pratiques du secteur financier. Cette évolution ne relève pas simplement de l’adaptation à de nouvelles contraintes légales, mais d’une reconfiguration fondamentale de l’activité financière face aux défis écologiques.
Les institutions financières intègrent progressivement le risque juridique environnemental dans leurs processus décisionnels. Les départements de gestion des risques développent des méthodologies d’évaluation des risques environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) de plus en plus sophistiquées. Ces évaluations ne se limitent plus à l’impact financier potentiel des risques climatiques sur les investissements, mais incluent désormais l’exposition juridique liée au financement d’activités potentiellement écocidaires.
Le devoir fiduciaire des gestionnaires d’actifs connaît une redéfinition majeure. Traditionnellement interprété comme l’obligation de maximiser le rendement financier, ce devoir intègre désormais la prise en compte des risques environnementaux à long terme. Plusieurs juridictions, dont le Royaume-Uni et l’Union européenne, ont clarifié que la prise en compte des facteurs ESG fait partie intégrante du devoir fiduciaire, transformant ainsi la conception même de la responsabilité des gestionnaires envers leurs clients.
L’émergence de nouvelles pratiques financières
Face à ces évolutions, de nouvelles pratiques émergent. La finance à impact positif dépasse la simple atténuation des risques pour viser activement des bénéfices environnementaux mesurables. Les prêts liés à la durabilité, dont les conditions financières s’améliorent lorsque l’emprunteur atteint des objectifs environnementaux prédéfinis, connaissent une croissance exponentielle. En 2022, leur volume mondial a dépassé 700 milliards de dollars, selon la Climate Bonds Initiative.
La due diligence environnementale se renforce considérablement. Les institutions financières développent des processus d’évaluation préalable plus rigoureux, incluant l’analyse de la conformité des projets avec les standards internationaux, l’évaluation des impacts sur la biodiversité et les communautés locales, et l’examen de scénarios climatiques à long terme. Cette évolution répond directement au risque juridique croissant, en permettant aux financeurs de démontrer qu’ils ont pris toutes les précautions raisonnables avant d’accorder un financement.
Le désinvestissement des secteurs les plus controversés s’accélère. De nombreuses institutions financières ont annoncé leur retrait progressif du financement du charbon, des sables bitumineux ou de l’exploration pétrolière en Arctique. Ce mouvement, initialement motivé par des considérations réputationnelles, est désormais renforcé par l’anticipation des risques juridiques. La Banque européenne d’investissement a ainsi annoncé en 2019 la fin de tout financement des projets d’énergie fossile d’ici 2021.
- Intégration systématique de l’évaluation des risques juridiques environnementaux
- Redéfinition du devoir fiduciaire pour inclure les considérations environnementales
- Développement de produits financiers alignés sur les objectifs environnementaux
- Renforcement des processus de due diligence
- Accélération du désinvestissement des secteurs à haut risque
Cette transformation du secteur financier ne se fait pas sans résistances ni contradictions. Des tensions persistent entre les objectifs de rentabilité à court terme et les impératifs environnementaux de long terme. Néanmoins, la pression juridique croissante agit comme un puissant catalyseur du changement, poussant le secteur financier à réinventer ses pratiques et à réaligner ses activités avec les limites planétaires.
Prospective juridique : les évolutions attendues de la responsabilité des financeurs
L’avenir de la responsabilité pour financement d’activités écocidaires se dessine à travers plusieurs tendances juridiques émergentes. Ces évolutions préfigurent un cadre de responsabilité plus étendu et plus contraignant pour les institutions financières dans les prochaines années.
La reconnaissance internationale de l’écocide comme crime constitue une première perspective majeure. Les travaux du panel d’experts indépendants mandaté en 2021 pour proposer une définition juridique de l’écocide en vue de son inclusion dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale pourraient aboutir à une avancée historique. Si l’écocide devenait le cinquième crime international, après le génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et le crime d’agression, les financeurs d’activités gravement destructrices de l’environnement pourraient être poursuivis pour complicité de crime international.
L’extension du devoir de vigilance à l’échelle européenne et mondiale représente une deuxième tendance significative. Le projet de directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité prévoit d’imposer aux grandes entreprises, y compris financières, des obligations de prévention des risques environnementaux tout au long de leur chaîne de valeur. Cette directive, une fois adoptée, créera un standard harmonisé au sein de l’Union européenne et influencera probablement les législations au-delà des frontières européennes.
L’innovation en matière de responsabilité civile
Le développement de la responsabilité civile pour préjudice écologique pur constitue une autre évolution prometteuse. Reconnu en France depuis la loi sur la biodiversité de 2016, le préjudice écologique pur permet de demander réparation pour les atteintes directes aux écosystèmes, indépendamment de tout préjudice humain. L’extension de ce concept à d’autres juridictions et son application aux financeurs d’activités destructrices ouvriraient de nouvelles voies de recours pour les défenseurs de l’environnement.
La responsabilité climatique émerge comme un domaine spécifique du droit. Les contentieux fondés sur la contribution au changement climatique se multiplient, et les financeurs des énergies fossiles constituent des cibles logiques de ces actions. L’affaire Lliuya c. RWE en Allemagne, où un agriculteur péruvien poursuit un producteur d’électricité pour sa contribution au changement climatique affectant son village, pourrait créer un précédent applicable aux institutions financières soutenant les industries fortement émettrices de gaz à effet de serre.
L’émergence de standards internationaux contraignants pour la finance durable représente une tendance complémentaire. Les travaux de l’Organisation internationale de normalisation (ISO) sur la finance durable, notamment la norme ISO 14097 sur l’évaluation et la déclaration des investissements et des activités financières au regard du changement climatique, pourraient évoluer vers des standards juridiquement contraignants, intégrés dans les réglementations nationales et internationales.
- Possible criminalisation internationale de l’écocide et de sa complicité
- Harmonisation et renforcement des obligations de vigilance environnementale
- Extension du concept de préjudice écologique pur
- Développement spécifique de la responsabilité climatique
- Transformation des standards volontaires en normes contraignantes
Ces évolutions dessinent un futur où la responsabilité des financeurs pour les dommages environnementaux causés par leurs investissements sera beaucoup plus directe et étendue. Cette perspective pousse déjà les acteurs financiers les plus avisés à anticiper ces changements en transformant profondément leurs pratiques et leur gouvernance.
Les défis de la transition vers une finance juridiquement responsable
La mise en œuvre effective d’un régime de responsabilité pour le financement d’activités écocidaires se heurte à plusieurs défis majeurs. Ces obstacles juridiques, techniques et politiques doivent être surmontés pour permettre une véritable transition vers une finance juridiquement responsable.
Le défi de la causalité juridique demeure l’un des plus complexes. Établir un lien causal direct entre le financement accordé par une institution financière et les dommages environnementaux causés par l’activité financée reste difficile dans de nombreux systèmes juridiques. La théorie des petites causes, selon laquelle chaque contribution, même minime, à un dommage environnemental engage la responsabilité, gagne du terrain dans certaines juridictions mais se heurte à des résistances. La Cour suprême des Pays-Bas, dans l’affaire Urgenda, a reconnu que la contribution partielle aux émissions de gaz à effet de serre n’exonérait pas l’État de sa responsabilité, un raisonnement potentiellement applicable aux financeurs.
La question de la territorialité du droit constitue un second obstacle majeur. Les activités financières traversent les frontières, tandis que les régimes juridiques de responsabilité environnementale restent largement nationaux. Cette disparité crée des risques de forum shopping, les institutions financières pouvant être tentées de localiser leurs activités dans des juridictions aux standards environnementaux moins exigeants. Le développement de mécanismes de compétence universelle pour les crimes environnementaux les plus graves pourrait offrir une solution partielle à ce problème.
Les résistances institutionnelles et culturelles
La culture financière traditionnelle, focalisée sur le rendement à court terme et l’analyse quantitative, peine à intégrer pleinement les considérations environnementales de long terme. Les systèmes d’incitation dans le secteur financier, notamment les modes de rémunération basés sur la performance financière immédiate, peuvent entrer en conflit avec les objectifs de durabilité. La transformation de cette culture constitue un défi fondamental, nécessitant des changements dans la formation des professionnels de la finance et dans les systèmes d’évaluation et de récompense.
Le risque de greenwashing juridique représente un autre obstacle. Certaines institutions financières développent des stratégies sophistiquées pour afficher une conformité de façade avec les exigences environnementales tout en poursuivant des pratiques préjudiciables. Les clauses contractuelles exonératoires de responsabilité, les structures juridiques complexes diluant la responsabilité, ou encore le recours à des intermédiaires dans des juridictions peu regardantes constituent autant de techniques permettant d’éviter la responsabilité juridique effective.
L’enjeu de l’accès à l’information environnementale demeure crucial. Malgré les avancées en matière de reporting extra-financier, les données sur l’impact environnemental des activités financées restent souvent incomplètes, non standardisées et difficiles à vérifier. Cette opacité complique l’établissement de la responsabilité des financeurs. Le développement de standards internationaux de divulgation, comme ceux proposés par la Task Force on Nature-related Financial Disclosures (TNFD), représente une avancée prometteuse mais encore insuffisante.
- Difficultés d’établissement du lien de causalité entre financement et dommage
- Limites liées à la territorialité du droit face à des flux financiers mondialisés
- Résistances culturelles et systèmes d’incitation contradictoires
- Stratégies sophistiquées d’évitement de la responsabilité
- Manque de transparence et d’accès aux données environnementales pertinentes
Ces défis, bien que considérables, ne sont pas insurmontables. Ils appellent une approche intégrée, combinant innovations juridiques, transformations institutionnelles et évolutions culturelles profondes. La transition vers une finance juridiquement responsable représente un processus complexe mais nécessaire pour aligner le système financier avec les impératifs de préservation des écosystèmes.